Le cyberjournalisme en 1999

Capture d'écran de la chronique originale (Multimédium)

Ce texte est extrait d’une chronique publiée sous licence d’auteur le 14 janvier 1999 dans Multimédium, le cyberquotidien des TIC effacé du cyberespace par Québecor Media en mai 2002.


Méta-discours d’un cyberjournaliste

Christian Aubry en 1999L’avènement d’Internet entraine, on le sait, une totale révolution dans le traitement de l’information et les médias en général. Mon ex-éditeur, mentor et ami Mario Pelletier en a déjà disserté longuement dans un bel article, publié dans Forces, qui inaugurait l’an dernier notre section Dossiers. Tous les médias ont tendance à se redéfinir par rapport à la Toile, tant dans leurs méthodes de collection de l’information qu’au niveau de sa diffusion.

À l’heure actuelle, pourtant, la plupart des médias « classiques » qui mettent leurs contenus en ligne omettent d’adapter celui-ci à l’essence même d’Internet, à savoir sa « formidable capacité documentaire, encyclopédique », pour reprendre les termes de Mario. On vous livre une information sans proposer de lien complémentaire pour l’approfondir. On ne vous donne pas non plus accès aux sources qui ont guidé la plume du journaliste. Résultat: le nouveau médium n’apporte rien de plus que l’ancien, qu’il soit écrit, radiophonique ou télévisé. Le journaliste peut bien écrire ce qu’il croit ou ce qu’il veut. C’est à prendre ou à laisser.

Parmi les « nouveaux médias » uniquement publiés sur Internet, le degré d’adaptation reste variable. De nombreux sites se contentent de faire du « news clipping » plus ou moins réécrits d’autres sites, d’articles de journaux ou de communiqués, ce qui relève plus de l’activité documentaire que du journalisme, même si certains le font très bien.

D’autres se livrent à un vrai travail de journalisme mais limitent le nombre de liens au strict nécessaire, comme la page d’accueil des organisations citées. Combien de lecteurs auront le temps de fouiller ces sites? D’autres gomment enfin tout lien hypertexte dans l’espoir de rendre leurs visiteurs totalement « accrocs » à leur prose, ce qui me dérange autant que cela reste à prouver.

Or, quels sont les caractéristiques essentielles du cyberjournalisme, selon moi?

  1. Une pratique journalistique professionnelle, utilisant le réseau des réseaux comme support ET comme source documentaire principale, quoique non exclusive.
  2. Une forme aussi concise que possible (ce qui n’est pas mon fort, je l’avoue :-), cette concision étant équilibrée par:
  3. Une profondeur inégalée grâce à l’utilisation de liens menant ceux que cela intéresse vers des sources faisant foi, plus étoffées ou plus spécialisées.
  4. Au besoin, la mise en ligne des sources personnelles (courrier, entrevues, etc.) qui viendront étayer l’info et enrichir le patrimoine commun.
  5. Enfin, l’interactivité avec les lecteurs par la voie de forums, ce qui revient à être publiquement redevable de la pertinence de son travail.

Au fil des mois, j’ai découvert et appliqué ces principes à Multimédium. On y trouve régulièrement des échanges de messages électroniques (voire des discussions par ICQ!), des documents — dossiers de presse ou autres — qui ne figurent pas encore sur le Web, ainsi que de longues entrevues avec des acteurs de l’industrie québécoise du multimédia. Enfin, le Forum Multimédium permet à qui le souhaite de rectifier publiquement une éventuelle erreur, de compléter une information trop brève, voire d’en lancer une nouvelle.

En ce que concerne les entrevues, je tiens à préciser à l’honorable Jean-Pierre Cloutier qui les trouve trop longues qu’à mon sens, il se trompe. Je n’espère pas une seconde que tous les lecteurs de Multimédium écouteront ces documents sonores de 18 ou 20 minutes (qui donc, au fait, a lu l’intégralité du Rapport Starr?). La plupart des gens vont se contenter de lire l’article qui les présente dans la section Actualités. Mais ceux qui auront quelque intérêt à en savoir plus, ou qui voudront valider une affirmation qui les étonne, auront ainsi le loisir de le faire.

Voilà donc ma conception du cyberjournalisme, ma réponse personnelle à cette importante question: que devrait être l’information en réseau de demain? En l’état des choses, Multimédium ne peut prétendre couvrir toute l’actualité technologique. Mais je crois qu’il fait un travail qualitatif qui va dans le sens de son médium, participant ainsi au défrichage d’une nouvelle « frontière » de l’information.

Il est évident, vu les forces en présence, que le plus grand bienfait que peut procurer Internet aux citoyens du monde, c’est leur donner le contrôle de l’information. C’est encore plus vrai pour l’information politique et sociale que ça ne l’est dans le cas qui nous préoccupe ici, c’est-à-dire l’information technologique. En ce sens, tout compétent et intelligent qu’il puisse être ou ne pas être, je ne crois pas que le cyberjournaliste soit le maître à penser de son lecteur, mais bien plutôt son serviteur.

» Christian Aubry